Le samedi 11 mars 2006
Beowulf & Grendel: saga sans bruit et sans fureur
Sonia Sarfati
La Presse
Là où les Grecs ont eu Ulysse, les Anglo-Saxons ont eu Beowulf. L'épopée de ce guerrier légendaire a été dite dans un long poème épique écrit en vieil anglais quelque part entre 700 et 1000, après avoir été conté pendant des siècles. Et elle a été étudiée, enseignée et traduite par nul autre que J.R.R. Tolkien. Il y aurait même puisé, ici et là, des germes d'idées et un souffle qui lui auraient servi dans Le Seigneur des Anneaux.
En ces jours post-jacksoniens, telle référence fait gonfler des attentes... auxquelles Beowulf & Grendel de Sturla Gunnarsson ne répond pas: sur fond de paysages époustouflants, ceux de son pays natal, c'est une saga sans bruit et sans fureur que livre le réalisateur canadien d'origine islandaise.
Nous sommes en l'an 500. Lors d'une expédition, Hrothgar (Stellan Skarsgard), le roi des Danois, tue un géant dont on dit qu'il est un troll. Or la créature a un fils, un bambin nommé Grendel. Qui grandira, seul, dans une grotte. Devenu adulte, il cherchera à se venger en massacrant les habitants d'un village. Entrée en scène de Beowulf (Gerard Butler), le guerrier scandinave appelé à la rescousse.
Mais la confrontation n'est pas le menu principal de ce programme. Peu à peu se dessineront d'autres thèmes et enjeux. Beowulf, par exemple, n'assume pas le statut de héros qui commence à lui coller à la peau. Quant à la véritable nature de Grendel et ses motivations, elles lui seront révélées par le roi sur le déclin et par Selma (Sarah Polley), sorcière éprise de libertés (on note le " s "). Et puis, telle une trame de fond exploitée de manière anecdotique- alors qu'elle est essentielle- se trouve la montée du christianisme en ces territoires païens de l'Europe du Nord où monstres et dieux faisaient la loi.
Il manque ici le côté sauvage, primitif, viscéral de la saga. Une rencontre avec un monstre aquatique ne provoque aucune réaction de la part des protagonistes- alors que dire du spectateur, de l'autre côté de l'écran! Les ébats, qu'ils soient haineux ou amoureux, sont traités sur le même mode " plat ". Plus prosaïquement, les hommes et les femmes sont trop " propres "- les cheveux artistiquement emmêlés et les vêtements savamment déchirés ne suffisent à rendre la réalité d'alors.
Et puis, la langue. Présenté ici en anglais seulement, et sans sous-titres, ce film dont certaines scènes ne s'adressent pas aux enfants mais qui semblera bien mince au public adulte, est livré dans un anglais pas évident- à cause des accents et d'une volonté de transcrire l'esprit du poème. Une volonté qui a parfois été mise de côté pour une contemporanéité de plus ou moins bon aloi. Des exemples? " This troll must be one tough prick " ou encore " And not fucking troll ". Certains y verront de l'humour. D'autres, de la maladresse.
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BEOWULF & GRENDEL<`/b>
Drame épique de Sturla Gunnarsson. Avec Gerard Butler, Stellan Skarsgard, Sarah Polley. 102 min.
L'héroïque Beowulf doit combattre le monstrueux Grendel qui terrifie le village. Mais le héros et le monstre ont d'autres démons à affronter - ceux-là, intérieurs.
Seuls les paysages sont à la hauteur de l'esprit de cette saga.
http://www.cyberpresse.ca/article/20060311/CPARTS01/603110756/1043/CPAMTL